Histoire génomique des steppes Eurasiennes des Scythes de l'Âge du Fer aux populations nomades du Moyen-Âge
Par Bernard Sécher, jeudi 10 mai 2018. Lien permanent ADN ancien
Les steppes Eurasiennes s'étendent sur 8000 km entre la Hongrie et la Roumanie à l'Ouest et la Mongolie et le Nord-Est de la Chine à l'Est. Ces régions ont été dominées d'abord par des groupes parlant une langue Iranienne vers 2500 à 2000 ans av. JC, puis plus tard par des groupes parlant une langue Turque ou Mongole. Leur économie était basée sur l'élevage de troupeaux et sur la guerre.
Peter de Barros Damgaard et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: 137 ancient human genomes from across the Eurasian steppes. Ils ont séquencé 137 génomes entre l'Europe et la Mongolie entre 2500 av. JC et 1500 de notre ère:
Les auteurs ont également génotypé 502 individus contemporains appartenant à 16 groupes ethniques d'Asie Centrale, de l'Altaï, de Sibérie et du Caucase.
Entre 800 et 200 av. JC. les steppes étaient dominées par les Scythes parlant une langue Iranienne. Cette confédération était divisée en différents groupes séparés géographiquement, mais unifiée par des similarités culturelles. Cependant leur origine est controversée et peut être résumé en trois modèles distincts:
les Scythes sont issus de groupes nomades situés au nord du Caucase
les Scythes sont issus de groupes situés au Sud de la Sibérie ou à l'Est de l'Asie Centrale
les Scythes sont issus de divers groupes issus d'origines géographiques différentes
 
Les auteurs ont d'abord réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les échantilons de cette études (en couleur) sont comparés avec les autres échantillons d'ADN ancien (en gris à gauche) puis avec des populations contemporaines (en gris à droite):
La composante 1 sépare les Européens (à gauche) des Est Asiatiques (à droite). La composante 2 sépare les chasseurs-cueilleurs Natoufiens (en bas) des chasseurs-cueilleurs de l'Est (en haut). Dans la figure de gauche, les anciens échantillons de cette étude sont regroupés en fonction de leur groupe ethnique, et dans la figure de droite en fonction de leur période temporelle.
Cette analyse met en évidence deux groupes distincts parmi les Scythes de l'Âge du Fer: les Scythes Hongrois (carrés violet) et les Sakas d'Asie Centrale (carrés jaune). De plus dans le groupe des Sakas d'Asie centrale une structure fine est mise en évidence qui permet de séparer:
les populations associées à la culture Tagar du Sud de la Sibérie
les Sakas d'Asie Centrale appartenant principalement à la culture Tasmola
les Sakas Tian Shan (issus des montagnes)
 
Ces différences reflètent la nature confédérale de l'organisation des Scythes.
Une étude précédente avait montré que les Scythes avaient de l'ascendance issue des individus des steppes du Bronze Ancien. Les auteurs de cette étude ont montré qu'il était plus probable que les Scythes dérivent des populations de l'Âge du Bronze Récent que du Bronze Ancien. L'indice clef réside dans la présence d'ascendance issue des fermiers Européens chez les Scythes comme le montre la figure ci-dessous:
Les statistiques D et f3 montrent que les Scythes occidentaux ont plus d'ascendance issue des fermiers Européens mais n'ont pas d'ascendance issue d'Asie Centrale. A l'inverse les Sakas d'Asie Centrale montrent de l'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du sud de la Sibérie. L'augmentation de l'ascendance Néolithique Iranienne chez les Sakas du Tian Shan est significative par rapport aux Sakas d'Asie Centrale. De plus les Tagars montrent plus d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de l'Est (EHG) par rapport aux autres groupes Scythes.
Au point de vue modèle démographique les Sakas d'Asie Centrale peuvent être modélisés comme issus d'un mélange entre une population nomade de la fin de l'Âge du Bronze (56%) et des chasseurs-cueilleurs du sud de la Sibérie (44%). Les Tagars du sud de la Sibérie peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population nomade de la fin de l'Âge du Bronze (83,5%), des chasseurs-cueilleurs du Sud de la Sibérie (7,5%) et une population proche du garçon de Mal'ta (9%). Les Sakas de Tian Shan possèdent 70% d'ascendance issue des nomades de la fin de l'Âge du Bronze, 25% d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du sud de la Sibérie et 5% issue d'une population proche des Néolithiques d'Iran. Ce dernier point indique que ce groupe a interagi avec les cultures du Complexe archéologique Bactro-Margien (BMAC).
Les langues Turques sont arrivées dans les steppes Eurasiennes d'abord avec les nomades Xiongnu: une confédération de plusieurs tribus nomades de l'est des steppes à partir du 3ème siècle av. JC. Les Huns (3ème au 5ème siècle de notre ère) sont supposés issus des Xiongnu. L'analyse PCA montre que les Xiongnu appartiennent à deux groupes distincts, le premier d'origine Est Asiatique (Xiongnu) et le second (Xiongnu de l'oues) montrant de fortes proportions d'ascendances issue de l'ouest de l'Eurasie. Les Sakas d'Asie Centrale semblent être une source génétique pour ces populations. De plus les Huns partagent plus d'affinité génétique avec les Eurasiens de l'Ouest qu'avec les Xiongnu. De plus les Sakas et les Huns possèdent plus d'ascendance Est Asiatique que les Wusun ou les Kangju. Les Wusun et les Kangju possèdent de l’ascendance proche des Néolithiques Iraniens, de l'ascendance issue des populations de la fin de l'Âge du Bronze des steppes et une ascendance issue des chasseurs-cueilleurs du sud de la Sibérie. Ainsi les Xiongnu formaient des groupes génétiquement hétérogènes et les Huns ont dû émergé à la suite d'un flux de gènes Est Asiatique à dominance masculine dans les populations Sakas précédentes. La disparition des Sakas coïncide avec les migrations vers l'ouest des populations Xiongnu.
Au 6ème siècle de notre ère, l'empire Hun se désagrège et les Khaganates de langue Turque dominent les steppes. Ils furent ensuite remplacés par les populations Kipchak de langue Turque et les Kimaks de langue Toungouse jusqu'au Moyen Âge où ils sont remplacé par l'empire Mongole qui s'étend jusqu'au 13ème siècle avec Genghis Khan. Les auteurs de cette étude ont montré que les Khaganates ont plus d'ascendance Est Asiatique que les Huns. Les nomades du Moyen-Âge possèdent également une forte proportion d'ascendance Est Asiatique. Ces résultats suggèrent que la culture Turque fut imposée aux populations des steppes Centrales, par une élite à dominance Est Asiatique. Cependant ces groupes nomades étaient extrêmement hétérogènes génétiquement.
Quelques décennies après l'arrivée des Huns, de larges régions de l'Europe ont été décimées par la peste Justinienne. Les souches les plus basales de la peste actuelle ont été trouvées à Qinghai, au sud-est des montagnes de Tian-Shan, alors que les souches les plus basales de la peste Justinienne ont été trouvées au Xinjiang, province de l'ouest de la Chine, pointant ainsi pour une origine en Asie Centrale. Les auteurs de cette étude ont trouvé deux individus anciens qui montrent la présence du génome de la peste. Le premier est un Hun du Tian-Shan et date de l'an 180 et le second est un Alain d’Ossétie du Nord qui date du 6ème siècle de notre ère. Le génome de la peste du Hun est basal à la peste Justinienne. Celle-ci est une peste bubonique qui se transmet par les puces. Elle est donc probablement originaire de la région de Tian-Shan et a pu se propager en Europe le long de la route de la soie en bordure sud des steppes.
En conclusion les différentes migrations dans les steppes Eurasiennes montrent que la région aux 2d et 1er millénaires av. JC., est occupée par des populations parlant une langue Iranienne. Puis au début de notre ère elle est sous domination de populations Turques, suite à l'arrivée de